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Côté humour ...
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Je hais les pigeons ... surtout les parisiens. D'abord, ils sont laids, gris et prétentieux.
Je leur parle et ils ne daignent pas même me regarder.
Je ne suis pas le seul dans ce cas d'ailleurs. J'ai vu souvent les touristes leur parler, soit en anglais, soit en allemand, en italien ou même en japonais ; mais je n'ai jamais vu un pigeon leur prêter la moindre attention.
Franchement, je me demande pour qui ils se prennent !
Ils marchent tous comme Charlot et ils chient sur ma voiture. Alors qu'ils ont toute la place pour aller chier autour, non, c'est sur ma voiture qu'ils chient. Ils le font exprès, on ne me l'ôtera pas de l'idée. Leur merde attaque la peinture, comme un acide.
Ils s'en foutent ! Cette attitude méprisante m'est insupportable. Je leur dis : " Ne pouvez-vous aller chier ailleurs ? " ... et je frappe du pied le trottoir pour les impressionner. Ils ne bougent même pas. Ils me regardent, narquois, l'air de dire : " Si tu crois nous faire peur ... pauvre con ! " ... et ils s'en vont trois pas plus loin, me tournant le dos.
Il m'arrive parfois de les insulter - mais ils font comme s'ils ne m'entendaient pas. Il y en a même qui ricanent en roucoulant.
Je me demande comment on peut aimer un pigeon. Un pigeon n'est pas aimable. Un pigeon est méprisable.
Prenons un exemple : observons un pigeon qui change de trottoir. Il va traverser la rue, sans regarder - comme si les automobilistes devaient s'arrêter pour le laisser passer. De plus, il musarde pour manger des saloperies entre les pavés. Mais quel mépris ! ...
Il évite miraculeusement les voitures - si tant est qu'il puisse s'agir de miracle lorsque l'un d'entre eux est sauvé. Même les boiteux évitent les voitures - ceux qui ont un pilon, par exemple, j'ai toujours le secret espoir de leur voir perdre quelques plumes sous une roue. Eh bien, non ! Rien à faire !
On peut se demander s'ils sont inconscients, ou indifférents au danger, ou s'ils nous snobent tout simplement. Moi, je dirais qu'ils nous snobent et je dirais même qu'ils nous snobent effrontément.
D'aucuns prétendent qu'ils sont stupides - et moi, je dis qu'ils sont plus vicieux que stupides. Oui, c'est ça, les pigeons sont vicieux. Ils mangent de la merde. Il faut être vicieux pour manger de la merde, non ?
Il y a encore des imbéciles pour leur lancer de la mie de pain. Alors, évidemment, les pigeons arrivent par centaines, comme s'ils étaient affamés - mais, en réalité, ils n'ont absolument pas faim. Il viennent pour manger de la merde - car, au lieu de picorer la mie, là où elle est tombée, ils la traînent dans la boue, la piétinent jusqu'à ce qu'elle devienne aussi sale qu'eux-mêmes, qu'elle ressemble à une merde et, là, ils la mangent.
Ce qui les attire, c'est bien le plaisir de manger de la merde ... non ?
Partout, dans chaque quartier, il y a des vieilles femmes qui portent des bonnets qu'elles ont elles-mêmes tricotés pour leur lancer des miettes ou des saloperies enveloppées dans de vieux journaux.
Il faut voir les pigeons se précipiter sur ces saloperies, histoire d'apitoyer les vieilles. C'est odieux !
Mais ça marche, car elles recommencent et, eux, refont semblant d'avoir faim.
Le pigeon a vraiment une sale mentalité pour faire ça à une vieille.
Prenez l'hirondelle, elle ne ferait jamais ça. L'hirondelle voyage pour jeter un petit coup d'oeil dans d'autres pays - histoire d'aller voir ailleurs ce qui s'y passe. Mais le pigeon !...
Le pigeon, lui, reste là ! Voyager ne l'intéresse pas. Il y a, paraît-il, des pigeons voyageurs, mais ce sont des pigeons dressés pour voyager - autrement dit que l'on force à voyager.
Je me demande d'ailleurs comment on peut arriver à dresser un pigeon, puisque rien ne l'intéresse. A part manger de la merde et nous chier dessus, le pigeon ne sait rien faire. Parfois, il parvient tout juste à m'apitoyer. Je le dis sans fausse honte.
Oui, le pigeon me fait pitié, lorsqu'il vient, pour y crever, s'installer sur le rebord d'une fenêtre du rez-de-chaussée, là où il est sûr qu'il y aura du passage. Il se blottit dans un coin de fenêtre, l'oeil mi-clos, un peu vitreux, tremblotant et tout ébouriffé, plus gris que jamais, l'air de demander au passant : " T'as pas cent balles ... ou plus simplement une balle, pour en finir ? "
Alors là, oui, le pigeon me fait pitié. Mais c'est seulement de la pitié !
Quand je pense que certaines personnes affirment : " Le pigeon, c'est bon avec des petits pois ! ". Je dis : " C'est faux ! Le pigeon aux petits pois, c'est très quelconque et c'est dégoûtant. Car je le soupçonne de chier sur les petits pois, avant. "
Mon père avait un ami dont la femme s'était fait faire une robe " gorge de pigeon ". Eh bien, je n'ai jamais vu couleur plus dégueulasse que cette " gorge de pigeon ". C'est d'un brun roux à vous faire dégueuler votre repas dans le caniveau.
Là où les pigeons viennent becter.
(Pierre Etaix)
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