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Côté humour ...
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La vie des charaçons est assez monotone
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La vie des charançons était assez monotone.
Elle était toute entière consacrée à l'instruction.
Tous les matins, les jeunes charançons se levaient aux aurores, s'emplissaient les estomacs, et puis, leur cartable au bras ou au dos, qui à pied, qui à vélo, qui en autobus, ils allaient s'instruire.
Pour l'instruction des jeunes charançons avaient été construits des lieux spéciaux appelés lycées, avec des chaises pour s'asseoir et des tables pour dessiner des organes sexuels dessus. Quand ça sonnait - car il y avait des sonneries pour que tout un chacun sût quand l'instruction commençait -, les jeunes charançons se massaient devant la porte de la classe, attendant que le professeur charançon arrivât, muni de sa clé, pour ouvrir le lieu où l'instruction était dispensée. Quand il n'y arrivait pas, c'était une joie chez les jeunes charançons qui voyaient s'ouvrir devant eux, à défaut de la porte, des avenirs roses et radieux : UNE heure, et parfois deux, pour aller boire des liquides sucrés et écouter des musiques bruyantes dans les cafés les plus proches du lieu appelé lycée ! C'était le pied. Malheureusement, ça n'arrivait pas souvent car les professeurs charançons avaient la conscience professionnelle bien chevillée au corps - bien que les opinions publiques les tinssent généralement pour de méprisables feignants toujours en vacances, ou en grève quand par hasard ils n'étaient pas en vacances. En règle générale, donc, le professeur-charançon arrivait, muni de sa clé, il ouvrait la porte du lieu où l'instruction était dispensée, et l'instruction était dispensée.
L'instruction dispensée avait ceci de remarquable qu'elle n'entretenait aucun rapport, de près ou de loin, avec le monde dont rêvaient les jeunes charançons. Ce monde-là apparaissait sur les écrans à images, et il était peuplé de créatures de rêve couchées nues sur des capots d'engins automobiles, et d'hommes virils dont le plus grand souci était de se raser la couenne au millipoil. Dans le monde des écrans à images, il y avait des paradis à cocotiers, des chocolats qui vous donnaient des extases, des habits qui rendaient beaux, et des gens qui gagnaient des millions en tapant dans une baballe.
Or, dans les lieux appelés lycées, on prétendait enseigner aux jeunes charançons comment résoudre des équations à deux inconnues, ce qu'ils peinaient à faire alors que n'importe quel ordinateur vous traite ça les doigts dans le nez, ou quelle était l'histoire des charançons qui les avaient précédés, ou pis encore, on leur faisait étudier la poésie alors que tout le monde sait bien que la poésie c'est que des konneries escrites par des individus louches portés sur le sexe, quand c'est pas les drogues (voir Rimbaud Arthur ou Baudelaire Charles) ; et les jeunes charançons ne voyaient comment tout cela pouvait bien permettre d'accéder à toutes les voluptés promises par les écrans à images. Quant à l'idée qu'on pût vouloir apprendre pour le plaisir de savoir, il y avait belle lurette que son grand squelette blanchi se couvrait de poussière dans le cimetière des idées mortes (sic).
Parfois les jeunes charançons protestaient : ils DESCENDAIENT DANS LA RUE et réclamaient des lieux spéciaux pour y grignoter des merdouilles, et des droits d'expression, et des professeurs qui leur enseignassent des choses utiles, et des avenirs pimpants. On leur promettait tout ça sans barguigner, car ça faisait peur de voir des troupeaux de jeunes charançons dans les rues, sans compter qu'ils cassaient les vitrines. Alors les jeunes charançons retournaient dans les lieux affectés à leur instruction, repeignaient de frais les organes sexuels dessinés sur les tables pendant qu'on leur expliquait les équations du second degré ou les poésies de Baudelaire Charles, et la vie reprenait son cours assez monotone.
(C. Bouchard)
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